Joel CADIOU
Rencontre inattendue
Kaboul, 2012. Une ville suspendue entre le fracas du passé et le souffle ténu d’un présent qui s’accroche. Je suis arrivé par un vol en provenance de Delhi, un avion sans touristes mais rempli de silhouettes silencieuses, des hommes en treillis aux regards vides, des mercenaires traversant le ciel d’un pays qu’ils ne venaient pas découvrir, mais occuper. L’atterrissage fut un seuil : celui d’un territoire où la vie s’accroche à des fragments de normalité, malgré la guerre qui rôde dans les interstices du quotidien.
À peine le sol afghan foulé que la tension se fit palpable, matérialisée par un attentat au bazooka sur l’aéroport, survenu le lendemain de mon arrivée. Ce fracas initial n’a pas changé mon regard ; il a simplement rythmé mes pas, m’imposant la conscience aiguë d’être là, dans un espace où chaque instant peut basculer. Pourtant, ce n’est pas la guerre que je suis venu photographier. Ce que je voulais saisir, c’était la vie qui persiste malgré elle, les gestes simples des habitants, la dignité têtue des visages, l’éclat d’une lumière sur un mur criblé d’impacts.
Pendant quinze jours, Kaboul s’est offerte à moi non pas comme un champ de ruines, mais comme une mosaïque d’histoires fragiles. Avec mon fixer, nous avons arpenté la ville sans plan préétabli, laissant les rues décider de l’itinéraire. Chaque jour apportait son lot de rencontres inattendues : des enfants jouant dans la poussière, des vendeurs de rue, des regards directs ou furtifs. J’ai photographié des scènes urbaines, des visages marqués par la fatigue ou la curiosité, des bâtiments dont les cicatrices racontent des décennies de conflits.
La tension était là, diffuse, comme une respiration en arrière-plan. Elle s’est incarnée un jour dans une course-poursuite absurde, née d’un simple klaxon, s’échauffant jusqu’à devenir une confrontation violente entre des hommes dont la colère semblait déborder le prétexte. Ce moment de chaos s’est dissipé aussi vite qu’il était apparu, absorbé par la routine d’une ville habituée à l’instabilité. Kaboul m’a appris cela : la violence n’est pas toujours spectaculaire, elle est souvent un murmure, une nervure invisible dans la trame du quotidien.
Pourtant, au-delà de cette tension permanente, c’est l’humanité que je voulais capturer. Pas celle des grands récits de guerre, mais celle des instants suspendus : un regard échangé, une main tendue, la lumière d’un matin sur un trottoir abîmé. La photographie n’était pas un acte de témoignage héroïque, mais un geste d’attention, une tentative de comprendre sans juger, de voir sans détourner le regard.
Kaboul n’est pas une ville que l’on saisit en un cliché. Elle est trop complexe, trop vivante dans ses contradictions. Ce travail photographique est une collection de fragments, des éclats de vie saisis au vol, des détails minuscules qui, mis bout à bout, forment le portrait d’une ville debout, malgré tout.
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